Nombre de fois que j’ai entendu cette question posée par un enseignant à un ou plusieurs élèves : Que remarquez-vous? (ou Que remarques-tu?) Quand l’enseignant pose cette question, il a en tête une réponse précise et il veut que les élèves découvrent cette réponse. Mais bien souvent la réponse n’est pas celle attendue et pour cause, on peut remarquer bien des choses face à une situation donnée.
Par exemple, lors du travail sur un problème de fractions, ma fille Camille (première secondaire) écrit :
Rémi, son frère qui est en 4e année, regarde et dit « Ah oui je comprends… ». Alors je lui demande, « Ah bon tu vois un lien entre les fractions qui sont écrites? ». Il me répond que oui, « 2+2=4 et que 4+4=8 » en faisant les gestes suivants :
Camille et moi sommes un peu perplexes. Nous avions plutôt vu que chaque fois le numérateur et le dénominateur sont multipliés par 2. Évidemment, on pourrait dire que c’était prévisible, Rémi connait vaguement l’idée de fraction équivalente et il a peu travaillé les liens multiplicatifs. En fait, il ne se préoccupe pas du signe d’égalité et il cherche à dégager des relations additives puisque c’est ce qu’il connait le mieux.
Face à la même égalité, ce que remarque Rémi est bien différent de ce que Camille et moi nous remarquons puisque nos connaissances et nos expériences sont différentes.
Alors, d’un côté, demander à Rémi ce qu’il remarque permet de mieux cerner son regard et ses connaissances, et de comprendre comment il raisonne. D’un autre côté, que faire avec sa réponse?
En classe, lorsqu’une réponse inattendue à la question Que remarques-tu? survient, la tendance est généralement de passer à l’élève suivant puisque ce n’est pas la réponse qu’on cherche. C’est vrai, mais c’est une réponse quand même! Une réponse qui, souvent, n’est pas dénuée de sens, une réponse qui répond à la question posée. Et comme le disait Stella Baruk, une réponse est avant tout une question : Pourquoi ce n’est pas comme ça? Pourquoi ce que je remarque ne serait-il pas ce qu’il fallait remarquer?
Alors prenons quelques minutes pour décortiquer la proposition de Rémi. En soi, sa proposition est une conjecture (plutôt difficile à énoncer par contre). Il semble y avoir en effet une régularité particulière entre numérateurs et dénominateurs successifs. Pourrait-on générer d’autres fractions équivalentes en poursuivant?
Oui, ça fonctionne! Mais pourquoi donc? Et est-ce que ça pourrait vraiment fonctionner peu importe la fraction de départ? Prenons 1/3 comme fraction initiale. 3+3=6 et on obtient 3/6 qui n'est pas égal à 1/3.
Ça ne fonctionne pas. Ce contre-exemple suffit pour invalider la conjecture. On aurait aussi pu prendre une fraction quelconque a/b avec a et b qui sont des nombres entiers et b différent de 0. Alors selon la régularité observée par Rémi la fraction a/b est égale à la fraction b/(b+b). En transformant b/(b+b) on arrive à ce que a/b soit égal à 1/2 :
Donc la première égalité établie n'est vraie que si la fraction de départ a/b est égale à 1/2. La remarque de Rémi n'est donc pas fausse mais elle est limitée à l'exemple donné, aux fractions équivalentes à 1/2.
Dans une classe, demander aux élèves ce qu'ils remarquent est à la fois enrichissant et risqué.
Enrichissant parce qu'on a un accès à ce qu'ils voient, ce qu'ils comprennent... et parce que leurs observations peuvent être l'occasion d'initier la classe aux notions de conjecture, de preuve, de validité, etc., de découvrir des propriétés intéressantes, d'apprendre à se poser des questions.
Risqué parce que si on n'est pas prêt à recevoir des réponses différentes de celle attendue, à répondre aux questions "Pourquoi ce n’est pas comme ça? Pourquoi ce que je remarque ne serait-il pas ce qu’il fallait remarquer?" alors on laisse les élèves avec leurs questionnements et le sentiment qu'ils ne comprennent pas.
Après que Rémi ait expliqué ce qu'il observait, sa sœur lui a rapidement dit que ce n'était pas ça du tout, "qu'il fallait voir qu'on faisait fois deux en haut et en bas à chaque fois". Aussitôt, Rémi a réagi "De toute façon je comprends rien aux fractions!".
Que remarques-tu? est une question vague c’est certain, mais est-ce une bonne ou une mauvaise question? Tout dépend de ce qu’on fait des réponses inattendues qui surgissent forcément à un moment ou à un autre…
A cette question même les adultes procèdent de la même façon, à partir de ce qu'ils connaissent... et dans bien des situations !