D’abord bienvenue aux abonnés de ce blogue! Le partage d’aujourd’hui est la suite du précédent (Va où le vent te mène). Je rappelle que je raconte un épisode d'école à la maison que j'ai vécu avec mon fils Rémi qui est en 4e année du primaire. Les réflexions proposées concernent le volume et le sens spatial. Mes idées sur ces notions étant fortement inspirées de celles de quelques collègues, j’ai inclus des références à leurs travaux. Bonne lecture!
Vendredi 29 mai…encore!
Après une longue parenthèse (voir le post précédent), nous revenons à la tâche. Rémi construit un prisme parce qu’en fait il savait comment faire.
Je lui demande quel est le volume de son prisme et il compte les blocs un à un… 12. Je lui demande 12 quoi? Il répond 12 blocs. Ben oui, pour lui le volume c’est en fait un nombre de blocs. C’est ce qu’on voit sur l’image et c’est ce qu’il manipule, des blocs. Je précise donc que le volume est une mesure et que le volume de son prisme c’est plutôt 12 cubes unités. Le volume c’est la mesure de l’espace et cet espace est mesuré avec des blocs, des cubes unités. Bon quand c’est dit, on fait quoi? Compter les blocs c’est bien mais il me semble qu’on peut faire plus. Je me rappelle alors que Claude Janvier considérait le volume comme une grandeur particulière, comme « un instrument fondamental de conceptualisation de l’espace » (1). Il soutenait que les activités sur le volume contribuent à développer le sens spatial. Je me souviens aussi de l’activité d’Anick Ste-Marie et Catherine Tourigny (2) dans laquelle nous devions fermer les yeux pour visualiser une construction qui nous était décrite.
Avec ces idées en tête, je propose un jeu à Rémi : « Je vais construire un prisme mais il sera caché, je vais te décrire ce prisme en te donnant sa longueur, sa largeur et sa hauteur, tu devras me dire quel est le volume de ce prisme. Tu pourras fermer les yeux pour l’imaginer. Ensuite ce sera ton tour. » Je commence avec un prisme assez simple :
Je le décris « Mon prisme a une longueur de 4, une largeur de 2 et une hauteur de 1 ». Je me rends compte que spontanément je n’ai pas donné pas les unités. Rémi aurait pu me dire « 4 quoi? » comme je l’ai fait précédemment. On poursuit quand même. Comme il y a un seul étage (la hauteur est 1), il est assez facile pour Rémi de dénombrer mentalement les blocs. Mais je ne pense pas que cet exercice soit si simple pour tous les enfants. Rémi me parait assez habile avec la représentation dans l’espace et surtout, je lui avais déjà fait faire des exercices de visualisation proposés par des collègues (voir 2, 3 et 4).
C’est à son tour. Rémi construit un prisme en le cachant et me le décrit. Je réfléchis alors à voix haute : « 4 blocs de longueur fois les 3 blocs de largeur ça veut dire que j’ai 12 blocs sur un étage, et comme la hauteur est de 2, ça fait 2 étages donc 24 blocs! ». Rémi observe son prisme en m’écoutant et il dit « Bravo! ». Il n’a pas vraiment vérifié ma réponse, mais il semble voir que mon raisonnement tient la route.
À mon tour. Je construis le prisme suivant et je donne ses dimensions à Rémi : « Mon prisme a une longueur de 3, une largeur de 3 et une hauteur de 2 ». Je ne donne toujours pas d’unité de mesure.
Je vois qu’il murmure et essaie de faire des calculs. 12! Ah bon pourquoi 12? Il commence à expliquer, se rend compte que ça ne marche pas. Je lui montre le prisme. Ah non c’est pas ça…il se reprend. On fait le raisonnement ensemble « 3 blocs de longueur fois les 3 blocs de largeur ça veut dire que j’ai 9 blocs sur un étage, et comme la hauteur est de 2, ça fait 2 étages donc 18 blocs. »
Et on continue à jouer. Après quelques coups Rémi devient plus rapide. Je lui demande comment il fait. Il me répond que c’est facile, il faut juste multiplier les 3 nombres ensemble. Ben oui tiens! Et on s’arrête là pour aujourd’hui.
Encore une fois, plusieurs réflexions me viennent en observant cet épisode. Je vais me limiter à deux thèmes :
1) Le développement du sens spatial. Il existe beaucoup d’activités pour développer le sens spatial mais je dois avouer que j’aime particulièrement celles qui permettent la création d’images mentales. Les images mentales m’apparaissent comme une pierre angulaire du raisonnement mathématique. L’habileté à visualiser est utile pour faire des calculs, pour se représenter les relations entre les données dans des problèmes, pour anticiper l’allure d’un graphique, etc. mais aussi pour amorcer des généralisations. Par exemple, dans l’épisode décrit, la représentation mentale du prisme accompagnée de mon explication sur comment j’ai décortiqué le solide semblent avoir contribué à ce que Rémi dégage une manière de calculer rapidement le volume (ou plutôt le nombre total de blocs). Le dénombrement mental peut effectivement devenir laborieux, ce qui créé le besoin de trouver une manière plus rapide de procéder. Comme le mentionnait Claude Janvier, la déconstruction du prisme droit en tranches et la capacité de visualiser cette décomposition et de l’articuler au dénombrement requis est une habileté à la base de la construction de la formule de volume (1).
Cette formule correspond à cette manière rapide de calculer, celle que Rémi a découverte. Maitrise-t-il l’ensemble du raisonnement de généralisation sous-jacent? Certainement pas. Mais il est sur le chemin : il a perçu la régularité dans la construction d’un prisme avec des blocs (un empilement de couches identiques), il a senti le besoin de trouver une manière plus rapide de trouver le nombre total de blocs (sans avoir à les compter un à un), il a émis une conjecture sur le calcul à faire. Certains se diront peut-être que j’aurais à ce moment-là dû introduire la formule. Mais je ne pense pas. Moi j’associe son raisonnement à la formule, mais lui, est-il prêt pour cette généralisation symbolique? Je n’en suis pas certaine. Aussi, ce n’est pas un contenu de 4e année du primaire, alors pourquoi précipiter les choses? Je suis toutefois convaincue que, si ce type de travail est poursuivi, Rémi donnera beaucoup plus de sens à la formule lorsqu’elle lui sera présentée. Par ailleurs, la formule implique des mesures de longueur et dans le raisonnement mobilisé on ne voit pas ces longueurs, on voit des blocs!
2) Les unités de mesure. Au début de l’épisode, on voit que j’essaie de faire le lien entre le nombre de blocs et la notion de volume. J’insiste sur le fait que le volume est une mesure et que le cube unité est l’unité de mesure. Mais plus tard quand je décris un prisme construit avec les blocs, spontanément je ne donne pas les unités pour les mesures (longueur, largeur et hauteur). Pourquoi? Parce qu’en vrai j’ai compté le nombre de blocs! J’aurais dû compter le nombre d’arêtes de blocs, ça aurait été plus rigoureux. Mais le nombre de blocs et le nombre d’arêtes de blocs sont égaux. Et je me concentre sur le but de l’exercice qui est de déterminer le volume, qui lui, est égal au nombre de blocs puisque le bloc est le cube unité. Donc pour calculer le volume, je calcule le nombre de blocs. J’aurais pu dire : « Mon prisme a une longueur de 4 arêtes de cube unité… ». Mais de ne pas parler systématiquement des unités permet d’alléger la démarche et de se concentrer sur le raisonnement, soit celui du calcul du nombre de blocs. Le questionnement sur les unités pourra venir ensuite. Il sera d’ailleurs essentiel pour passer à la formule Volume = Longueur x largeur x hauteur puisque cette formule est valable pour tout prisme droit et qu’on ne devrait pas avoir construire ce prisme avec des blocs pour en déterminer le volume!
(1) Janvier, C. (1992). Le volume comme instrument de conceptualisation de l’espace. Topologie structurale, 18, 63‑75.
(2) Ste-Marie, A. et Tourigny, C. (2019) Développer le sens spatial au préscolaire: réflexions et pistes pour l’enseignement. Atelier présenté dans le volet primaire du congrès de l’AMQ. Cégep Saint-Laurent. Montréal.
(3) Marchand, P. (2009). Le développement du sens spatial au primaire. Bulletin AMQ, 49(3), 63‑79. https://www.amq.math.ca/ancien/bulletins/oct09/Atelier_Marchand.pdf
(4) Marchand, P., & Braconne-Michoux, A. (2013). Quels types d’activités permettent de développer les connaissances spatiales chez les élèves du primaire : Le cas de la boîte à image. Proceedings of the colloque de la Commission Permanente des IREM sur l’Enseignement Élémentaire (COPIRELEM), Enseignement de la géométrie à l’école: enjeux et perspectives. http://numerisation.univ-irem.fr/WO/IWO14008/IWO14008.pdf
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