Quelle rentrée! Pour ma part, l’enseignement à distance me donne du fil retordre. Je dois revoir les activités, les contenus, les évaluations… Mais je dois dire qu’il y a un côté positif à ce remaniement forcé : je dois prendre le temps de me questionner sur mes intentions didactiques. Qu’est-ce que je veux que mes étudiants retiennent, comprennent, appliquent, etc.? Y a –t-il des raisonnements importants, incontournables, au cœur de la compréhension du contenu, y-a-t-il des habiletés que je veux absolument que mes étudiants développent, y-a-t-il des mots, des éléments de définitions, des conventions que je veux qu’ils mémorisent, y-a-t-il des méthodes, des procédures que je veux qu’ils soient capables d’appliquer et dans quels contextes, etc.? Et en plus, je dois me questionner sur le pourquoi de ces choix parce que je ne peux pas tout faire et je dois cerner ce qui est le plus important. En quoi les raisonnements, les habiletés, les méthodes… vont-ils contribuer à leur formation, au développement de leurs compétences professionnelles?
Ouf tout un exercice! Plusieurs collègues au primaire ou au secondaire sont certainement dans une situation semblable. Ils doivent revoir leurs priorités, leurs manières d’enseigner et d’évaluer. Pour eux, les questions sont les mêmes et (heureusement) les explications des choix sont orientées par un programme. Au Québec, on doit amener les élèves à développer des compétences disciplinaires et transversales (même celles qu’on n’évalue pas!) et une progression des apprentissages montre quand et comment les concepts et processus seront exploités.
Dans le partage d'aujourd’hui, je propose d’alimenter les réflexions des collègues qui enseignent l’algèbre au début du secondaire.
Si on fait le parallèle avec mon questionnement de départ, avant d’enseigner l’algèbre, il faudrait se demander ce qu’on veut que les élèves retiennent, comprennent, appliquent... et pourquoi? Ce questionnement en amène un autre, plus profond : qu’est-ce que l’algèbre et pourquoi enseigne-t-on l’algèbre à l’école? Beaucoup de réponses sont possibles mais, pour l’avoir souvent posée à des futurs enseignants, je peux dire que l’algèbre est majoritairement vue comme un langage symbolique. Apprendre l’algèbre c’est donc apprendre à utiliser ce langage : comment il fonctionne, quelles sont ses symboles, ses règles, ses conventions. Pourtant de nombreux chercheurs vous diront qu’on peut raisonner algébriquement sans utiliser de symbolisme et qu’à l’inverse, on peut utiliser des lettres dans une démarche mathématique sans qu’un raisonnement algébrique ne soit impliqué (voir notamment les travaux de l’OIPA ). Le langage symbolique est donc une facette de l’algèbre mais l’algèbre ce n’est pas juste ça!
Et pourquoi enseigne-t-on l’algèbre? Une réponse fréquente est « pour résoudre des problèmes ». Mais quels types de problèmes? À quelles questions l’algèbre permet-elle de répondre? Dans quelles situations est-elle vraiment nécessaire?
Au début du secondaire au Québec (PFEQ, 2003), on doit amener les élèves à voir que l’algèbre permet de généraliser des situations qui présentent des régularités et de prouver qu’un énoncé est toujours vrai. Généraliser et prouver sont effectivement deux activités fortement associées au raisonnement algébrique. Mais pour initier les élèves à la généralisation et à la preuve doit-on forcément attendre qu’ils maitrisent le langage symbolique? Si oui, alors l’introduction de l’algèbre ne pourrait se faire que par un apprentissage intensif de ce langage. Ouf… il y a bien des chances qu’on perde rapidement l’intérêt des élèves. Il faut avouer que cette approche n’est pas très vendeuse et qu’elle a ses limites. Comment comprendre le sens du symbolisme si on ne doit pas l’utiliser dans des contextes signifiants? Comment justifier la pertinence des conventions et la validité des règles de manipulation? Et comment s’assurer que les élèves transposeront les connaissances acquises en situation de résolution de problèmes?
J’en reviens à mon questionnement de départ. Qu’est-ce que je veux vraiment que les élèves retiennent, comprennent, appliquent, etc., et surtout, pourquoi? Veut-on que l’usage du symbolisme soit uniquement « mémorisé » ou veut-on qu’il soit « compris »? Et si on fait le choix de la mémorisation, on doit se demander pourquoi? La mémorisation sera efficace à court terme mais que se passera-t-il quand on voudra que les élèves utilisent le langage symbolique pour résoudre un problème? Sauront-ils donner le sens adéquat au symbolisme? Comme le mentionnaient Nadine Bednarz et Bernadette Janvier il y a déjà presque 30 ans, si on ne donne pas de sens au symbolisme dans l’enseignement, les élèves se chargent de le faire… mais il ne faut pas être surpris que le sens qu’ils donnent ne soit pas celui auquel on s’attendait comme on peut le voir dans cet extrait de Bednarz et Dufour-Janvier (1992).
J’ai beau retourner cela dans tous les sens, je pense que l’apprentissage du langage symbolique ne peut pas se faire en dehors des situations dans lesquelles il prend son sens. Et s’il s’agit d’une nouvelle langue avec ses symboles, ses conventions, ses règles, pourquoi penser que cela doit se faire rapidement ? Qui apprend une langue en un mois?
Finalement, collègues qui planifiez actuellement l’introduction à l’algèbre avec vos élèves, je vous invite à vous poser les questions suivantes :
Pourquoi ne pas viser d’abord l’apprentissage d’un raisonnement algébrique contextualisé plutôt que l’apprentissage des règles de manipulation d’un langage symbolique décontextualisé?
Pourquoi ne pas introduire graduellement les symboles, les conventions d’écriture, les règles de transformation, etc. aux moments opportuns, c’est-à-dire quand ils sont vraiment nécessaires?
Pourquoi ne pas proposer d’emblée des problèmes dans lesquels les élèves pourront mobiliser un raisonnement algébrique en s’exprimant dans le langage courant pour ensuite introduire le langage symbolique qui peut alors être apprécié pour sa concision?
Évidemment, ce ne sont que des suggestions car à la question « Qu’est-ce que je veux que les élèves retiennent, comprennent, appliquent, etc., et surtout, pourquoi? » il y a autant de réponses que d’enseignants et que de groupes d’élèves. Parce que selon vos groupes, leurs caractéristiques, leurs forces, leurs défis, vos réponses ne seront certainement pas les mêmes. Donc je ne peux pas répondre à votre place et je pense en fait que personne ne le peut… votre enseignant ressource, votre conseiller pédagogique ou votre professeur d’université pourra certainement vous accompagner dans cette réflexion, mais il ne pourra pas la faire à votre place.
Et voilà, c’est mon cas aussi, je ne peux pas reléguer la responsabilité de l’adaptation de mes cours à distance à quelqu’un d’autre. Alors je m’y remets !
Bonne rentrée!
Bednarz, N., & Dufour-Janvier, B. (1992). L’enseignement de l’algèbre au secondaire : Une caractérisation du scénario actuel et des problèmes qu’il pose aux élèves. 21‑40.
Ministère de l’éducation, du loisir et du sport. (2003). Programme de formation de l’école québécoise, Enseignement secondaire 1er cycle, Domaine de la mathématique. Gouvernement du Québec.
Chère Valériane j’aurais voulu que tu sois mon enseignante quand je me débattais avec l’algèbre !
Je considère que la compréhension doit toujours primer sur la méthode! Comme tu l’exprimes si bien.
Pour ma part, faire verbaliser l’élève et le faire écrire au long dans ses mots les équations fait en sorte qu’il voudra encoder assez rapidement! Et il comprendra mieux la signification de son encodage !
Enfin , j’ai apprécié ton blogue encore une fois !
Bon courage,
Sue